(projet de thèse)
Voici la présentation de mon projet de thèse. Cela constitue la première étape de mes travaux de doctorat.
Ce sont ici, mes intuitions, mes attentes, mes pistes de recherches… Celles-ci varieront avec le temps et seront à mettre en balance avec la version finale de mes travaux.
Assez peu reconnu par ses compatriotes et souvent restreint à ses travaux en phonologie à l’étranger, John Rupert Firth occupe une place clef en linguistique anglo-saxonne.
Il est à la fois tourné vers le passé, si on en croit sa formation d’historien et l’importance qu’il accorde à la fois à l’Histoire et à l’histoire des sciences mais il est également tourné vers l’avenir si l’on considère la nouvelle impulsion qu’il a donnée aux sciences du langage. Il n’est qu’à citer l’avènement de la linguistique en tant que discipline académique à part entière en Grande-Bretagne pour s’en convaincre.
Ses écrits, bien que peu nombreux (et parfois publiés à titre posthume) sont particulièrement denses en terme de références, dénotant à la fois un intérêt frappant pour l’histoire de la linguistique, mais également un horizon de rétrospection très riche tant dans le temps que dans l’espace. Ses citations permettent d’entrevoir la place que firth accorde à l’histoire, à la linguistique et à l’histoire de la linguistique, de déterminer en quoi il a pu être influencé par les auteurs et les écrits antérieurs, et par là-même de mieux comprendre le mode de pensée du linguiste et sa logique scientifique.
En relation avec sa démarche historiographique, il ne faut pas oublier le contexte scientifique immédiat dans lequel firth se situe, à l’orée du XXe siècle : les expérimentations phonétiques en cours depuis le XIXe siècle telles que menées par Sweet et Bell notamment. Cet ensemble de références participe à la constitution d’une linguistique firthienne alors innovante. Ses théories dans les domaines de la linguistique (« contexte de situation », « sens par collocation ») et de la phonétique s’appuient sur un fonctionnalisme et une transdisciplinarité (comme la prise en compte d’éléments propres à l’anthropologie) et adoptent un caractère multilingue dans lequel les langues asiatiques ont forte part à jouer comme pour nous rappeler ses années passées en Inde ou à la SOAS (School of Oriental and African Studies).
Cette approche de langues non indo-européennes est à l’origine de la prise de conscience d’un eurocentrisme qui incita l’auteur à repenser jusqu’à sa méthodologie. En phonologie, l’opposition entre la conception linéaire segmentaliste des unités phonologiques et la perception prosodique de cette dernière en est une illustration. La théorie phonesthésique est également emprunte d’un rapport au son qui fait souvent polémique auprès de linguistes occidentaux. D’autres éléments en sont la trace sur un plan aussi bien phonologique que linguistique et il apparaît incontournable d’étudier à quel point cette connaissance de langues et de cultures si éloignées (asiatiques, africaines) des éléments alors étudiés en Europe ont permis de mettre ou remettre en question certaines notions en linguistique ou phonologie.
J. R. Firth introduit ici une nouvelle dimension à l’étude de la langue. Des langues plus rares et exotiques ne sont plus cantonnées à la SOAS, mais deviennent nécessaires et influencent (jusqu’à quel point ?) l’étude de l’anglais et de la langue en général.
John Rupert Firth, c’est ainsi la création de la London School (Ecole de Londres), d’un courant de pensée qui s’inscrit dans la logique de son instigateur et qui a influencé toute une génération de linguistes anglo-saxons, que ce soit directement (R. H. Robins, F. Palmer, T. F. Mitchell…) ou indirectement pour les linguistes que l’on a pu qualifier de « néo-firthien » comme M. A. K. Halliday.
John Rupert Firth occupe donc une position charnière dans l’histoire de la linguistique qu’il convient d’éclaircir et qui ne doit pas faire oublier pour autant que J. R. Firth est également un homme de son temps au fort tempérament, qui n’hésite pas à prendre parti contre des théories de linguistes tels que Saussure, Bloomfield ou encore Troubetzkoy.
Cette capacité à être à la fois dans la continuité en multipliant plus que de coutume les référents antérieurs, remontant jusqu’à l’antiquité, et le caractère novateur qu’a pu constituer sa démarche scientifique, au point de créer une nouvelle Ecole de pensée) semblent assez paradoxales à première vue tant J. R. Firth semble à la fois être dans la continuité et instaurer un nouveau départ (une rupture ?) pour les sciences de la langue. La quantité limitée de traces écrites qu’il a pu laisser par ses propres travaux oblige à une étude approfondie qui seule pourra déterminer quelles ont été la place et la contribution réelles de John Rupert Firth dans l’histoire des idées linguistiques.